(Les Cahiers Européens de l’Imaginaire # 5, Manger ensemble, 2013)
Je te mange, je me mange : nous sommes dans le tourbillon
JE suis : « J’ai faim ».
Invisible, partout, L’ennui chuchote avec le ton d’un péremptoire envoûtement :
« As-tu faim ? Viens. Reste ici ».
JE pense : « Je ne m’en rends pas bien compte… ai-je faim ? ».
L’ennui : « Oui, tu as faim. Reste ici ».
(Pause)
JE veux, en hésitant : « Mais, ma… Je mange ».
JE suis : « Veux-je ? Est-ce que, moi aussi, je veux ? L’être ne veut pas, l’être est. Est-ce que je le veux ? Pourquoi ai-je faim et pourtant n’arrive pas à le vouloir, à le vouloir jusqu’au fond. Je suis ! ».
Sur la table, La viande : « Je suis ta chair ».
(Silence dans le silence)
L’ennui : « Je suis ta vie. Mange, et reste là où tu es ».
(La scène devient fébrile). (Échanges animés)
JE veux : « … Elle est là. Je la mords, je la tue à nouveau – et je tue le temps ».
JE pense : « Le temps ? Le temps est déjà mort ».
JE suis : « Le temps est la mort : dans cette assiette-là ».
La chair, avec un magnétisme séducteur : « Je suis à toi. Je suis ta propre chair. Viens ».
JE veux, JE suis, JE pense, ensemble : « Je te veux ».
La chair et L’ennui, secoués par un frisson, avec une soif frénétique, en chœur : « Qui ? Quoi ? Est-ce que tu veux de moi ? Prends-moi.Abîme-toi en moi »
(Un saut, la morsure, le repas. La scène se dissout progressivement)
JE pense : « Et maintenant ? ».
(Une spirale s’étale dans la salle à manger. Tout tournoie. Tout est dans le tourbillon).
JE suis, JE pense et JE veux, à l’unisson : « Je te mange, je me mange. Dansons ».
Un photographe de passage, pendant qu’il immortalise la séquence, en soliloque :
« Il en a toujours été ainsi. Seul, l’humain est, sans être-là.
La séparation est la maison de l’individu.
‘Avec’, il n’est plus humain.
Manger le monde, c’est dévorer sa propre chair
dissoudre ce qui reste de nous
annihiler ce qui demeure – seulement pour nous – de soi et du soi.
Si je te mange, je me mange.
Si je me mange, je me perds.
Si je me perds, je me retrouve,
dansant. Dans le tourbillon.
Et la maison ?
Le monde ne sera jamais une maison ».
.
Ti mangio, mi mangio: siamo nel vortice
IO sono: “Ho fame”.
Invisibile, dappertutto, La noia sussurra col tono di un perentorio incantesimo:
“Hai fame? Vieni. Rimani qui”.
IO penso: “Non so… ho fame?”.
La noia: “Hai fame, sì. Vieni. Rimani qui”.
(Pausa)
IO voglio, esitando: “Ma… mangio…”.
IO sono: “Voglio? Anch’io voglio? L’essere non vuole, è. Anch’io lo voglio? Perché ho fame e non riesco a volerlo, a volerlo sino in fondo. Io sono!”.
Sulla tavola, La carne: “Sono la tua carne”.
(Silenzio nel silenzio)
La noia: “Sono la tua vita. Mangia, e resta dove sei”.
(La scena si fa convulsa). (Scambio animato)
IO voglio: “… È lì. La mordo. La uccido ancora. E uccido il tempo”.
IO penso: “Il tempo? Il tempo è già morto”.
IO sono: “Il tempo è la morte: in quel piatto”.
La carne, con seducente magnetismo: “Sono tua. Sono la tua stessa carne. Vieni”.
IO voglio, IO sono, IO penso, insieme: “Voglio te”.
La carne e La noia, percosse da un brivido, con frenetica brama, in coro: “Chi? Cosa? Vuoi me? Prendimi. Precipita in me”.
(Un balzo, il morso, il pasto. La scena si dilegua progressivamente)
IO penso: “Ed ora?”.
(Una spirale si staglia nella sala da pranzo. Tutto vortica. Tutto è nel vortice)
IO sono, IO penso e IO voglio, all’unisono: “Ti mangio, mi mangio. Balliamo”.
Un fotografo di passaggio, mentre immortala la sequenza, tra sé e sé:
“È sempre stato così. Solo, l’umano è, senza esserci.
La separazione è la casa dell’individuo.
‘Con’, non è più umano.
Mangiare il mondo è divorare la propria stessa carne
dissolvere ciò che resta di noi
annichilire quel che rimane – solo per noi – di sé e del sé.
Se ti mangio, mi mangio.
Se mi mangio, mi perdo.
Se mi perdo, mi ritrovo,
danzante. Nel vortice.
E la casa?
Il mondo non sarà mai una casa”.